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5 November 2025

Réglementation de l'hypertrucage par le droit d'auteur : L'approche préconisée par le Danemark conviendrait-elle au Canada?

MT
Miller Thomson LLP

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Les médias synthétiques générés par l'intelligence artificielle (« IA »), ou « hypertrucages », posent des problèmes légaux et éthiques de plus en plus importants sur le plan de la cybersécurité.
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Les médias synthétiques générés par l'intelligence artificielle (« IA  »), ou « hypertrucages », posent des problèmes légaux et éthiques de plus en plus importants sur le plan de la cybersécurité. Les hypertrucages impliquent l'utilisation non autorisée de l'apparence d'une personne dans le but de générer des images ou des contenus audio ou vidéo très réalistes, mais fabriqués. Ils soulèvent inévitablement des problèmes relatifs aux droits de la personnalité, soit le droit de contrôler l'utilisation du nom, de l'image, de la voix d'une personne ou de toute autre caractéristique unique permettant de l'identifier. La technologie de l'hypertrucage étant de plus en plus accessible, il est essentiel de comprendre les protections légales contre l'utilisation non autorisée de l'apparence d'une personne ou des autres droits de la personnalité en vigueur au Canada et ailleurs.

Plus tôt cet été, le ministre danois de la Culture, Jakob Engel-Schmidt, a annoncé des modifications proposées à la loi sur le droit d'auteur du Danemark visant à lutter contre la prolifération des hypertrucages (le « projet de loi »). Le projet de loi, appuyé par tous les partis, souligne à quel point il est urgent de réglementer les technologies émergentes par les cadres juridiques existants et nouveaux. Par exemple, la Loi européenne sur l'intelligence artificielle (aussi connue sous le nom Règlement (UE) 2024/1689), entrée en vigueur en août 2024, prévoit déjà l'obligation de déclarer au moyen d'une étiquette qu'un contenu hypertruqué a été généré ou manipulé par une IA.

Cependant, si l'approche de l'UE s'intéresse aux préoccupations des consommateurs de contenu hypertruqué, le projet de loi du Danemark va plus loin en portant sur les droits et protections des sujets apparaissant dans le contenu. La plupart des lois actuelles adoptées pour protéger les droits de la personnalité s'appuient sur les protections liées à la vie privée ou aux marques de commerce, qui sont limitées sur les plans de la portée et de la durée, plutôt que sur les principes du droit d'auteur. L'approche novatrice du Danemark consistant à considérer l'identité numérique elle-même comme une question de droit d'auteur propose une protection plus large.  Le Danemark ouvre ainsi une nouvelle voie juridique qui pourrait permettre de redéfinir la manière dont les sociétés protègent l'identité personnelle à l'ère de l'IA. La question est de savoir si le Canada devrait lui emboîter le pas.

Modifications proposées à la loi sur le droit d'auteur du Danemark

Le projet de loi propose des modifications à la loi sur le droit d'auteur du Danemark, qui procureraient aux personnes victimes d'hypertrucage de nouveaux outils pour intenter une action en justice. Plus précisément, la loi interdirait le partage de reproductions numériques réalistes de la voix, de l'image ou d'autres caractéristiques personnelles d'une personne sans son consentement et donnerait aux personnes victimes d'hypertrucage le droit d'exiger le retrait du contenu des plateformes numériques.

Les plateformes refusant de se conformer à ces demandes s'exposeraient à des amendes. Le projet de loi prévoit une période de protection correspondant à la durée de vie du sujet plus 50 ans après le décès de la personne dont l'apparence a été utilisée dans le contenu hypertruqué. À l'instar des exceptions qui s'appliquent généralement à la violation du droit d'auteur, le recours à l'hypertrucage dans des caricatures, parodies ou satires ne serait pas visé et serait donc autorisé en vertu de la loi sur le droit d'auteur du Danemark. 

L'approche actuelle du Canada en matière de droit d'auteur et de réglementation de l'hypertrucage

À l'heure actuelle, la protection par le droit d'auteur en vertu des lois du Canada ne s'applique pas aux droits de la personnalité d'une personne. Cela s'explique, du moins en partie, par le fait que la Loi sur le droit d'auteur ne reconnaît le droit d'auteur que dans les œuvres originales qui sont, notamment :

  1. créées par un auteur, et
  2. fixées sous une forme matérielle.

Dans la pratique, cela signifie que si la voix ou le visage d'une personne ne sont pas en soi protégés par le droit d'auteur, dès qu'ils sont intégrés dans une œuvre fixée, comme l'enregistrement d'une voix ou la photographie d'un visage, cette œuvre bénéficie de la protection par le droit d'auteur.

Il est important de mentionner que, dans la plupart des cas, le premier titulaire du droit d'auteur sur une œuvre est son auteur. Ainsi, lorsqu'un photographe photographie un sujet, c'est le photographe – et non le sujet de l'image photographiée – qui est le titulaire du droit d'auteur sur la photographie ainsi produite.

Par conséquent, si le sujet d'un hypertrucage voulait intenter une action en justice pour utilisation non autorisée de son image, il faudrait qu'il invoque d'autres cadres juridiques et la jurisprudence, par exemple :

  • Réclamations pour violation de la vie privée : Dans certaines provinces, les lois sur la vie privée interdisent l'utilisation non autorisée du nom, de l'apparence ou de la voix d'une personne à des fins de publicité ou de promotion de produits ou services, ou à toutes autres fins lucratives, car une telle utilisation est considérée comme une violation de la vie privée. Le contenu hypertruqué qui reproduit l'apparence d'une personne sans son consentement pourrait entrer dans le champ d'application de ces protections légales. Cependant, dans la plupart des cas, la loi pertinente stipule clairement que ce type de réclamation s'éteint au décès de la personne victime d'une violation de la vie privée.
  • Protection des marques de commerce :  En vertu de la Loi sur les marques de commerce  du Canada, il est interdit d'adopter « à l'égard d'une entreprise, comme marque de commerce ou autrement » une marque composée du portrait ou de la signature d'un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes ou qui lui ressemble. Bien que cette disposition ne soit généralement pas utilisée dans le contexte de l'hypertrucage, elle pourrait s'avérer pertinente selon le contenu hypertruqué et l'utilisation qui en est faite.
  • Délit de commercialisation trompeuse : Une réclamation pour tromperie commerciale peut être présentée lorsqu'un hypertrucage laisse faussement entendre qu'une personne appuie un produit, un service ou une marque, ou y est affiliée, et tire ainsi profit de sa réputation et de sa notoriété sans son consentement.
  • Délit d'usurpation de personnalité :  Une réclamation pour usurpation de personnalité permet de protéger le droit d'une personne de contrôler l'utilisation commerciale de ses droits de la personnalité. Le réclamant doit démontrer qu'il peut être identifié, que son apparence a été utilisée sans son consentement et exploitée à des fins commerciales. Les tribunaux ont statué que les droits découlant de ce délit peuvent subsister après le décès, sans toutefois préciser pendant combien de temps. Les hypertrucages qui utilisent sans autorisation l'apparence d'une personne à des fins lucratives peuvent être assimilés à un délit de cette nature si un avantage commercial découle de l'utilisation d'images manipulées, mais reconnaissables.

L'avenir de la réglementation de l'hypertrucage au Canada

Si le Canada décidait d'emboîter le pas au Danemark en étendant la loi sur le droit d'auteur aux caractéristiques personnelles d'une personne, telles que son physique, ses traits faciaux et sa voix, les moyens permettant de protéger son identité à l'ère numérique en seraient grandement bouleversés.

En considérant l'utilisation abusive de l'apparence d'une personne comme une violation du droit d'auteur, les personnes disposeraient de droits élargis et d'outils d'exécution supplémentaires. Par exemple, la durée applicable au contrôle exclusif d'une personnalité pourrait être établie conformément à la Loi sur le droit d'auteur, soit la durée de vie de la personne plus 70 ans, au lieu d'être alignées sur les durées plus courtes prévues par la loi sur la protection de la vie privée ou les marques de commerce. Par ailleurs, les victimes d'hypertrucage pourraient avoir accès à des dommages-intérêts d'origine législative, un outil efficace en vertu de la Loi sur le droit d'auteur. Bien entendu, une telle extension de la loi impliquerait également que les exceptions qui s'appliquent habituellement au droit d'auteur, comme celles qui concernent l'utilisation équitable ou le contenu généré par l'utilisateur, continueraient de s'appliquer aux cas d'hypertrucage.

En fin de compte, cependant, l'ajout du concept de protection des droits de la personnalité à la Loi sur le droit d'auteur  en tant que violation du droit d'auteur représenterait un changement notable par rapport au modèle utilisé actuellement au Canada pour comprendre et reconnaître le droit d'auteur, car cela soulèverait des questions concernant les définitions actuelles de la paternité, de la propriété et des œuvres protégeables. Au lieu d'ajouter des dispositions au cadre de réglementation du droit d'auteur en vigueur, comme le Danemark a proposé de le faire, il serait peut-être plus efficace de combattre l'hypertrucage en adoptant une loi sur l'IA qui s'appliquerait à d'autres aspects propres à l'IA et à ses enjeux éthiques et légaux. 

Conclusion

Le projet de loi du Danemark, qui constitue une approche avant-gardiste de la réglementation des technologies de l'hypertrucage, soulève des questions quant à la voie que décidera de suivre le Canada à ce sujet. Étant donné l'évolution et l'utilisation accrue de ces technologies, le Canada pourrait n'avoir d'autre choix que de modifier ses cadres juridiques existants ou d'en adopter de nouveaux afin de procurer aux personnalités publiques et aux citoyens ordinaires des outils efficaces pour protéger et faire respecter leurs droits de la personnalité.

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